Gilles Kinoo
Je porte les cheveux longs, un des grands deuils de mon existence est de ne pas pouvoir porter la vie et de ne pas pouvoir porter de jupe par temps de canicule. J’ai une grande sensibilité, je pleure facilement, je le reconnais sans aucune gène. J’ai fait les romanes et j’ai adoré les Malheurs de Sophie quand j’étais jeune… Et pourtant, je me sens homme à 100%.
Tout commence avec un pitch digne d’un film d’horreur de série B : quatre adolescents atteints d’un mal étrange et un robot, en fugue, s’installent dans un camping abandonné.
Ces jeunes, insouciants malgré les dangers qui les guettent, ne sont pas sans rappeler ceux que Charles Burns dépeint dans Black Hole. Dans ce roman graphique, les ados d’une petite ville du Midwest se transmettent une maladie provoquant des mutations bizarres. Le tout dans une ambiance glauque, soulignée à merveille par le dessin froid caractéristique de l’auteur. On retrouve chez Burns un univers complexe dont les clés de lecture sont innombrables. La dénonciation d’une société étriquée symbolisée par la maladie « honteuse » n’est que la face la plus visible du portrait sans concession d’une jeunesse sans repères qui se retranche dans le cynisme. Au delà du malaise qu’inspire l’apparition de petites pattes d’insecte sur le torse du capitaine de l’équipe de foot, tout dans Black Hole semble agencé de façon à revêtir une multiplicité de sens qui ne peut que dérouter le lecteur qui cherche à « comprendre ». A priori, les grandes lignes sont claires, mais plus on regarde au détail, plus on doute.
On retrouve un peu de cet esprit dans Ton joli rouge-gorge. Bien sûr, on est loin de la froideur de Burns. Au delà des crises toujours plus violentes et de l’ombre menaçante qui parcourt la forêt, la pièce déploie mille stratagèmes pour nous faire rire.
(…)
Pris dans la ronde, on en oublierait la dimension engagée ou plus exactement, on commencerait presque à en douter. A force de nous emmener vers des degrés d’humour toujours plus tirés par les cheveux, à force de mélanger les genres, on ne sait plus sur quel pied la Clinic Orgasm Society veut nous faire danser. Que veulent donc nous dire ces personnages « agenrés » qui s’expriment en « Iels » ? Que peut bien vouloir nous raconter cette pièce hybride qui se réclame autant de la parodie que de la tragédie ? Comme chez Charles Burns, nous percevons de nombreuses clés, trop pour n’y voir qu’une farce, mais comment les tourner pour donner du sens à cet ovni théâtral ? On ne peut pas nier que la question des genres y est omniprésente et pourtant il semble qu’on aille au delà, vers une remise en question du genre théâtral lui-même…