Sa Majesté des Mouches de William Golding

Marie de Ridder
Femme en mouvement et en questionnement. 93,5 % femme, 6,5 % homme

Afin d’enrichir la perception de Ton joli rouge-gorge, on peut évoquer plus particulièrement Sa Majesté des Mouches, roman de William Golding paru en 1954, et adapté (brillamment) au cinéma par Peter Brook en 1963. Classique de la littérature anglaise et mondiale, robinsonnade de l’ère nucléaire, il met en scène des écoliers naufragés sur une île sauvage. Coupés du monde, livrés à eux-mêmes, ils tentent de s’organiser pour survivre dans la forêt vierge, et très vite deux options et deux camps apparaissent : la civilisation contre la barbarie, la démocratie contre la tyrannie. De nombreuses lignes de forces relient Sa Majesté des Mouches à Ton joli rouge-gorge et il peut être pertinent de rapprocher les deux œuvres sur ces points (à considérer comme des pistes de lecture et non comme un aperçu exhaustif) :

L’enfance, ou en tous cas l’absence d’adultes, et le décalage d’âge : chez Golding les enfants, s’organisant pour survivre, jouent aux adultes. Dans la pièce, les adolescents sont joués par des adultes.
Binarité : chez Golding, on est dans un camp ou dans l’autre, il y a un manichéisme total (et assumé). Dans la pièce, le monde utopique dynamite la binarité sexuelle, mais celle-ci revient, quoi qu’on fasse.
Rapport détaché au réel : on est clairement dans la fable, la métaphore, chez Golding, dans l’utopie chez Barth et Demarez, la voix-off du narrateur faisant office d’Il était une fois des contes. On évolue, dans les deux œuvres, dans un monde indéterminé, imprécis.
Les héros, coupés du monde (par choix ou accidentellement) doivent survivre, et vont voir leurs valeurs (civilisation, raison, respect, tolérance) mises à l’épreuve. Des interdits fondateurs universels des peuples (cannibalisme, meurtre) seront transgressés.
Questionnement philosophique sur la nature humaine : le mal semble inéluctable. Les deux œuvres semblent déclarer l’échec de la civilisation. Même au départ de conditions édéniques, dans un paradis perdu au milieu de nulle part, en repartant de zéro, le mal revient au grand galop piétiner l’innocence. La barbarie, la violence sont alors inévitables.
Réinventer la société : par nécessité vitale chez Golding, la réinvention se trouve en creux dans Ton joli rouge-gorge, puisque cette société nouvelle est ce que fuient les protagonistes à cause de leur mal mystérieux.
Une expérience surnaturelle, impliquant un animal, est au cœur de chaque œuvre et lui donne son titre. Ces deux silhouettes silencieuses ont un rôle de regard, de présence tierce renvoyant (ou pas) les protagonistes à leur conscience, voire de possible incarnation symbolique de la violence.
Le thème du pouvoir, de la domination : la lutte pour la survie chez Golding est en même temps la lutte pour le leadership, et contre l’idée de leadership. Chez Barth & Demarez, c’est le combat contre les stéréotypes de domination masculine et de genres qui constitue l’enjeu central (et par ailleurs un fabuleux ressort comique).
On le voit, en vertu de ces nombreux parallélismes, les deux œuvres peuvent s’éclairer l’une l’autre et offrir ainsi de nombreuses clés d’analyse croisée, Ton joli rouge-gorge pouvant s’interpréter comme un Sa Majesté des Mouches du XXIème siècle.

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