Kris Zola est spécialiste en communication du secteur culturel, diplômé de l’Université catholique de Louvain (Master). Il est critique culturel et fréquente actuellement le master en arts du spectacle au Centre d’études théâtrales de l’UCLouvain. Passionné de musique, il est aussi compositeur, pianiste et guitariste.
Je me sens 70% homme et 30% femme.
À travers l’exploration de la thématique de la binarité qui marque nos existences du sceau des convenances sexuelles, Ton joli rouge gorge ouvre un monde où se confondent la présence scénique des acteurs et l’ubiquité du personnage d’un petit garçon omnipotent qui manipule les comédiens et plante ainsi le décor d’une esthétique proche du théâtre de marionnettes. Télécommandés, manœuvrés et livrés aux fantasmes d’une enfance en quête de contrôle sur le monde des adultes, les comédiens subissent un récit volontairement saugrenu mais déterminé à en finir avec les protocoles sexuels binaires.
Il y a dès le début de la pièce une démarche dramaturgique de dédoublement narratif d’un récit originel. Cette mise en abyme théâtrale fait que l’on assiste à la fois à une sorte de théâtre dans le théâtre et à une volonté d’ôter aux comédiens leur propre capacité d’existence en les mettant dans une posture passive. N’agissant plus que selon le rêve d’émancipation de cette enfance qui orchestre sur scène un affranchissement des normes sexuelles, les acteurs finissent par ne ressembler qu’à de simples marionnettes à l’image de ce que préconisait Edward Gordon Craig dans ses écrits datant du début du XXe siècle. Ils n’agissent plus mais subissent systématiquement le récit d’un égarement de certaines conventions sexuelles manichéennes, quitte à s’engager dans une dialectique frontale et ornée d’hédonisme.
Au-delà de la place centrale du rythme dans la pièce, les comédiens semblent se trouver dans un jeu où ils sont confrontés à deux désirs distincts, d’une part, il y a les exigences – moins visibles car incorporées dans la création scénique – de la mise en scène de Ludovic Barth et Mathylde Demarez et, d’autre part, viennent s’imposer les caprices de ce petit garçon qui dirige le récit du haut tel un marionnettiste. Cette ambiguïté rejoint quelque peu l’utopie craiguienne qui projetait d’épurer le théâtre d’un certain nombre d’artefacts parasites, y compris d’exclure les acteurs pour les remplacer par des marionnettes. Cette double orchestration permet aux acteurs de déboucher sur de nouvelles possibilités de jeu et de déjouer constamment la réalité en brouillant les pistes de lecture des spectateurs.
Provocante et séduisante mais parfois répugnante, Ton joli rouge-gorge ressemble à première vue à un folklore élisabéthain émancipé de tout registre puritain. Pourtant, se limiter à ce libertinage inqualifiable serait passer à côté d’une belle expérience théâtrale qui a ceci de particulier qu’elle est intentionnellement incongrue et qu’elle nous prend au moment où l’on est le plus convaincu de la tenir.